Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article ACTA FORENSIA

ACTA FORENSIA, ACTA JUDICIORUM. On entendait par acta forensia, dans la langue du droit romain, les écrits privés destinés à constater les faits juridiques investitifs ou privatifs de droits ; on y comprit encore, sous le Bas-Empire, les acta judieiorum, qui avaient pour objet de mentionner des faits dépendants de la juridiction volontaire ou contentieuse des tribunaux. On traitera successivement ici ces deux points. 1. Indépendamment des registres brouillons appelés ADvERSARIA, où les citoyens romains avaient l'habitude de consigner les faits intéressant leur fortune, et du coDEx ACCEPT1 ET DEPENSI', où ils reportaient régulièrement ces mentions, à la fin de chaque mois, on tirait souvent de l'écriture une preuve préconstituée [CAUTIO, instrumentuln], des faits juridiques de quelque importance. Le prêt de consommation ou mutuum, comme la Iibération per aes et libram, et le contrat verbal de stipulatio [oBLIGATIONES], se constataient habituellement par une mention faite au codex du créancier avec le consentement du débiteur, et ordinairement contrôlée par une mention semblable sur le registre de celui-ci 2. Cette mention s'appelait arearium nomen 3, preuve invocable même contre les PEREGRINI. Ceux-ci (probablement les Grecs) introduisirent aussi l'usage de simples écrits appelés chirograplia ou syngrapha, suivant qu'ils étaient signés d'une seule des parties ou de toutes deux [CHIROGRAPIIUM]. La rédaction de ces écrits avait, pour les peregrini, la force obligatoire d'un contrat litteris °; mais entre Romains, elle servait seulement, longtemps avant Justinien de simple moyen de preuve, et ne se confondait pas avec la solennité littérale des nomina transeriptitia dont la mention sur le codex était, par' elle-même, une cause efficiente (causa civilis) d'obligation. Mais, avec le temps, les nomina transeriptitia tendirent à disparaître et ne furent guère plus en usage que chez les banquiers [ARGENTARII]. D'un autre côté, l'usage des chirographa ou syngrapha, devenu fréquent chez les Romains, finit par se confondre complétement avec celui des simples cautiones, dont l'effet probatif ressemblait beaucoup, dans la pratique, à la force obligatoire des chirograpila chez les peregrini. C'est ce qui facilita la fusion opérée ensuite par Justinien entre ces deux espèces d'actes ', à l'occasion de l'exception non numeratae pecuniae. On employait d'ordinaire des témoins pararü pour attester l'authenticité de l'écriture des actes privés [TESTIS] 7. La forme des testaments était soumise à des règles spéciales pour lesquelles nous renvoyons ACT 47 ACT à l'article TE5TASIENTUM ; il en fut de même des donations [DONATIO] sous Constantin. Le jurisconsulte Paul nous a conservé dans ses Sentences 6 une partie d'un sénatus-consulte rendu sous Néron', et prescrivant des mesures générales pour la forme des instruments (tabulae) qui contenaient la preuve littérale des contrats publics ou privés. Comme l'écriture des Romains ne ressemblait en rien à notre écriture cursive, il était difficile de distinguer la main ou la signature d'une personne : de là l'usage des cachets, des témoins, de 1'annotatio, de la subscriptio, etc., dans les actes instrumentaires. D'après le sénatus-consulte qui vient d'être cité, l'écrit devait être percé en haut de la marge et au milieu de l'acte et lié par un fil passé trois fois dans les ouvertures; puis la cire apposée sur ce triple lien devait recevoir les cachets de l'auteur et des témoins, pour garantir l'immutabilité de la charte intérieure. Rudorff 10 signale trois monuments semblables récemment découverts. Le même auteur a rassemblé, dans son excellente Histoire du droit romain, les indications de monuments diplomatiques, ou actes privés, qui sont parvenus jusqu'à nous II : dédicaces de temples, donations, sollicitations, ventes et traditions, emphytéoses, testaments et codicilles, etc. Sous le Bas-Empire, lorsque la procédure extraordinaire succéda à la procédure par formules, l'usage de la preuve écrite ayant prévalu devant les tribunaux, les actes privés devinrent d'autant plus fréquents, comme le prouvent plusieurs lois spéciales relatives à la vérification d'écriture 12. En effet, pour la rédaction des actes, on avait l'habitude d'employer des tabellions [TABELLIO] qui occupaient des bureaux (stationes) établis sur la voie publique. Ils formaient une communauté spéciale t2. Justinien exigea 1` pour la validité des actes privés qu'ils fussent revêtus de la subscriptio des parties, même lorsqu'ils étaient rédigés par un tabellion. Dans ce dernier cas, l'authenticité des instruments publics devait être attestée par la présence et la subscription de trois témoins, comme s'il s'agissait d'actes privés ordinaires15. auparavant, lorsque la sincérité d'un écrit était mise en question, l'usage était de la faire affirmer par les sept témoins que l'on avait fait intervenir pour y apposer leur subscription 16. Quant à. la production des titres en justice et à l'ordre dans lequel les preuves devaient être faites soit par le demandeur pour son action, soit par le défendeur en ce qui concernait ses exceptions ou défenses, nous renvoyons aux articles spéciaux sur ces matières II. Les acta judiciorum avaient plus spécialement pour objet de constater les actes relatifs à la juridiction gracieuse ou contentieuse des magistrats. A. Les actes de juridiction volontaire ou gracieuse Il ne supposent pas un litige, bien qu'ils doivent être accomplis solennellement devant un magistrat du peuple romain, ou d'un municipe, mais autorisé à cet effet par la loi ou l'usage. Telles sont l'adoption, la cessib in jure, la rnanumissio vindicta dont les formes sont décrites dans les articles relatifs à ces missi() in sacrosanctis ecclesiis, en présence des évêques 19, la légitimation, enfin la nomination du tuteur Atilianus ou Julio-Titianus [TUTOR], et celle des curateurs des imbéciles, des infirmes ou des mineurs de vingt-cinq ans 2' [cuRATOR] ont été, par extension21, attribuées par plusieurs lois àla juridiction de certains magistrats, savoir au préteur et aux tribuns originairement, puis aux consuls, au gouverneur de province, et, en certains cas, aux magistrats municipaux 22. Les actes de juridiction volontaire pouvaient être accomplis en dehors du tribunal et en tout lieu, in transitu, in balneo, etc. 2°. Ils étaient constatés néanmoins soit par des témoins, soit par le greffier (scriba, ab artis), du magistrat, assisté de témoins. Nous n'avons pas de preuve directe qu'il en ait été ainsi sous la République ; car cette preuve manque même pour les actes de juridiction contentieuse. Le passage de Cicéron 21 qu'on a invoqué pour l'affirmative, se rapporte en effet à la production devant les censeurs de titres privés, propres à. établir la fortune ou la propriété des particuliers2a. Un passage de Tacite fait allusion à des actorum libri, qui paraissent avoir été seulement des ouvrages privés relatifs aux débats judiciaires, quelque chose comme des recueils de causes célèbres 26 Au contraire, il est certain qu'il s'introduisit, sous les empereurs, une forme spéciale pour les actes de juridiction volontaire. Les parties faisaient dresser par un officier public un procès-verbal (acta ou gesta) qui constatait authentiquement l'accomplissement des actes dont il s'agit '7. C'est ainsi que l'on pouvait constituer un mandataire [PROCURAroR] apud acta praesidis et magistratus, comme nous l'apprend le jurisconsulte Paul 28. C'étaient des employés (officia les) du gouverneur, ou même des magistrats municipauxE9 qui étaient chargés de cet office 3o d'après une constitution rendue en 366 par les empereurs Valentinien I et Valens. A leur défaut, le DEFENSOR CIVITATIS présidait à la rédaction de ces actes 31, qui exigeait le concours de trois curiales au moins et d'un exceptor ou scribe, aux termes d'une constitution émise à Milan, en 396, par les empereurs Arcadius et Honorius, relativement à la forme des municipalia pesta 32. Cette disposition fut renouvelée par une novelle de Valentinien III 33, de l'année 446. Justinien fait encore mention, dans ses Institutes 31, de plusieurs cas où des actes de juridiction gracieuse sont constatés par les magistrats : ainsi le titre de fils donné à un esclave dans les actes (actis intervenientibus) suffit pour opérer l'affranchissement 05; de même l'adoption, comme l'émancipations6, se fait par des actes passés en présence du juge compétent, ou des magistrats à. ce autorisés par les lois ou la coutume. ACT 48 ---ACT B. Les acta judiciorum ayant un caractère contentieux devaient être inconnus sous l'empire du système de procédure appelé legis actiones [ACTIO], puisque le fait le plus important du litige, celui qui posait la question du procès, et le séparait en deux phases (le jus et le judicium), la LITIS CONTESTATIO, était, comme son nom l'indique, attesté par témoins. Au contraire, le régime formulaire exigea d'abord, en général, la rédaction d'une formula 37, instruction écrite par laquelle le magistrat du peuple romain nommait le JuDEx et lui conférait le pouvoir de condamner ou d'absoudre, suivant la solution qu'il donnerait au problème fixé par la formule. Néanmoins, cette instruction était délivrée aux parties, et on ne voit pas apparaître, dans l'origine, la nécessité légale d'un greffe pour les actes judiciaires ; la sentence elle-même était prononcée de vive voix, avec ou sans minute (tabella) 38. Car, bien que le magistrat [PRAETOR] ou praeses eût un officium à son service, le judex ou arbiter, simple particulier, n'en avait point. C'est ainsi qu'on s'explique la nécessité de la JUDICATI ACTIO, aboutissant à une condamnation du double contre celui qui niait l'existence d'une sentence judiciaire où il avait été partieB9, Cependant il paraît que dès les premiers temps de l'Empire, on tenait procès-verbal des dires des parties in jure, et de l'interlocutoire 40 que pouvait prononcer le magistrat en certains cas 41. La procédure devant le judex était en général purement orale ; cependant le défendeur défaillant pouvait être cité par lettres ou affiches 42. Sous le Bas-Empire, la multiplication des cognitiones extraordinariae,c'est-à-dire des cas où le magistrat jugeait seul, sans formule, et, par conséquent, sans renvoyer devant un judex, dut favoriser l'invasion de la procédure écrite. Ainsi, nous voyons que souvent le préteur fait citer le défendeur 43. Cette forme même dut prévaloir non-seulement sur l'ancienne vocatio in jus, mais encore sur la denuntiatio introduite par Marc-Aurèle 44, et organisée par Constantin. Ce dernier, dans une constitution de l'année 322, ordonna que la dénonciation serait faite devant le recteur de la province, ou les magistrats ayant le jus actorum conficiendorum 45. Mais, au temps de Justinien, cette formalité cessa d'être en usage; elle fut remplacée par une requête (libelles), signée de l'actor, et contenant l'exposé sommaire de la demande, qui était transmise par un viator ou executor du magistrat au défendeur 46, avec une citation à comparaître. Venait ensuite un nouvel acte, un écrit que donnait le défendeur, constatant la réception de la citation 67. La procédure extraordinaire était devenue la règle à partir de Dioclétien. Sous Constantin, les formules d'action furent abolies 46 ; c'étaient en général les bureaux du magistrat, et notamment le fonctionnaire nommé ab actis, qui prenaient les mesures nécessaires pour préparer l'instance et amener les plaideurs devant le tribunal 49. Nous n'avons pas à retracer ici l'ensemble des actes de la procédure extraordinaire ; il suffit d'indiquer ceux qui donnaient lieu à des acta judiciorum. Ainsi les officiales dressaient procès-verbal des plaidoiries et des réponses 50, assignaient les témoins, constataient leurs dépositions par écrit et les communiquaient aux parties 51. Enfin, par une innovation des plus importantes, les empereurs Valentinien, Valens et Gratien, dans deux constitutions rendues en 371 et en 374, exigèrent à peine de nullité que toute sentence fût rédigée par écrit et lue d'après la minute, ex periculo 52. Il existait un registre des jugements tenu aux archives du tribunal, où la décision était insérée et signée du juge; il en était délivré copie aux parties avec extrait du procès-verbal 53. Autrefois le juge, dans les cas difficiles, pouvait adresser à l'empereur un rapport (relatio) pour se dispenser de décider 54, mais cet usage fut aboli par JustinienS°. Nous renvoyons à un autre article [JUDICIORUM ORDO], quant au mode d'ouvrir l'instance par un libellus supplicationis, adressé à l'empereur 56. Notons seulement que les frais d'acte et de procès étaient payés aux officia les et même aux juges pédanés [JUDEX PcEDANEUS], sous le nom de sportulae; ces frais, d'abord proscrits, furent ensuite tarifés 67. Cependant, pour les affaires urgentes, on procédait oralement afin d'éviter les frais, sauf à tenir note sommaire des procédures et du jugement. L'exécution se fit aussi, sous l'Empire, au moyen de saisie par les officiers de justice 68 ; l'appel avait lieu de vive voix apud acta, ou par libelles appellationis 59, et le juge remettait à l'appelant un certificat nommé apostoli, ou litterae dimissoriae, avec copie des pièces fi0; le tout était transmis, dans un certain délai, au tribunal supérieur. De plus, au cas où l'appel était porté devant l'empereur, une relatio détaillée de l'affaire devait être dressée par le juge, communiquée aux parties pour recevoir leurs observations, et envoyée par des messagers à l'officium impérial 61. On peut en voir les exemples curieux que nous en a conservés Symmaque 62. De la chancellerie l'affaire était transmise au consistorium principis, qui devait l'examiner et la décider 63 Mais, plus tard, l'application de cette forme d'appel fut restreinte aux jugements rendus par les plus hauts dignitaires de l'Empire 64. Bien qu'on ne pût appeler des sentences du préfet du prétoire, on employa dès le Ive siècle une sorte de requête civile, sous le nom de supplicationes ou retractationes 65 ; mais cela est vrai surtout des cas extraordinaires, où on admettait la RESTITUTIO IN INTEGRUM, même contre les sentences de l'empereur et du préfet du prétoire 66 En résumé, on voit que les officia ou greffes des tribunaux de diverse nature, étaient chargés, sous le régime de ce système de procédure, d'où la nôtre est sortie, de la rédaction d'un très grand nombre d'acta judiciorum. Rudorff donne l'indication des monuments de cette na 1. ACT 49 ACT turc, decreta judicum, arbitrorum, etc. 67 parvenus jusqu'à nous. G. HUMBERT.